La tradition locale d’Appoigny veut que nos ancêtres, frileux à juste titre, aient décidé d’obstruer les arcades du triforium de la collégiale au prétexte qu’en hiver, le froid des soupentes des bas-côtés, frigorifiait les fidèles.
Bien que récente en 1220, l’architecture gothique ne construisait pas des églises ouvertes à tous les vents. La technique de l’opus francigenum était déjà bien documentée.
En témoignent les dessins de Villard de Honnecourt, maître maçon, qui sillonnait la France et ses chantiers, à l’époque de la construction de la collégiale d'Appoigny.
L’état du triforium d’Appoigny révèle une démolition qui n’a épargné que les colonnettes de la galerie d’origine.
La tradition locale relate les conséquences, sans nous donner la cause de ce qui a dû être un important sinistre.
Le triforium (terme issu du vieux français « trifoire » venu lui-même du latin transforare, « percer à jour ») est un passage étroit aménagé dans l'épaisseur des murs, au niveau des combles sur les bas-côtés de la nef d’une grande église. Utilisé essentiellement en architecture médiévale (à partir du XIe siècle), le triforium est un composant essentiel de l'élévation interne dans l'architecture gothique.
Il existe également des « faux triforiums », arcatures à jour ouvrant sur les combles sans qu'il y ait passage ou arcatures aveugles, simulant un triforium.
Les triforiums du début du XIIIe siècle étaient isolés des bas-côté par un muret qui servait à la fois de support à la charpente de la comble attenante. Cette galerie ainsi formée n’était ouverte que sur l’intérieur de l’édifice, elle isolait du froid tout en permettant un passage.
Tout semble indiquer qu’une réparation a été effectuée en son temps, façon « faux triforium », moins coûteuse.
La mémoire de ce qui a provoqué ce replâtrage est perdue. Pour la retrouver il nous faut visiter l’histoire locale.
A la fin du XVe siècle les guerres de Bourgogne font rage. Appoigny, frontière et véritable clé de la Bourgogne, va souffir de sa position.
D’un côté le roi de France Louis XI,
de l’autre Charles duc de Bourgogne, dit le Téméraire.
Depuis 1435, le traité d’Arras avait donné Auxerre au duc de Bourgogne. Mais les auxerrois se voyaient toujours sous la suzeraineté du roi, situation ambigüe qui attirera bientôt les hostilités entre les deux pouvoirs.
« En 1468, Charles le Téméraire fait acte d’autorité en nommant son protégé,Tristan de Toulongeon, seigneur de Soucy et de Dracy, capitaine général et gouverneur du comté.
La guerre va éclater entre le roi et celui qui se fait appeler « le grand duc d’Occident ». Auxerre se déclare pour Charles, tandis que Joigny, Brienon, Saint-Florentin, Guerchy, Neuilly, Villemer, Seignelay, Appoigny embrassent la cause royale. Régennes est également au pouvoir du roi qui y entretient une petite garnison.
Malgré une paix conclue dès novembre 1468, les hostilités reprendront. Pendant toutes les années 1470,1471, et 1472, Régennes et ses environs subiront le pillage...Des bandes armées se répandent sur le domaine du chapitre et de l’évêque, entre autres Chichery, Appoigny et Charbuy… Tout commerce par eau est arrêté. Des bateaux chargés de vin à destination de Paris sont confisqués au profit du roi.
En 1472, le Téméraire décide de mettre fin aux provocations, il envoie Jacques de Savoie, comte de Romont à Auxerre avec une troupe et de l’artillerie. (René Louis et Charles Porée, le domaine de Régennes et Appoigny,DIONYLAE 1939, p.105) ».
Au mois d’octobre Régennes tombe aux mains des Bourguignons, le château est démoli. Jacques de Savoie entre alors dans Appoigny sans résistance, livre la ville au pillage et à l’incendie.
Un grand nombre de maisons sont brûlées et leurs habitants obligés de fuir. Aux dires de l’évêque Jean Baillet( 1477-1513) « Appougny avoit esté et encore estoit une partie bruslé, dépopulé et inhabité ».
Il va sans dire que la collégiale a subi le même sort sous les auspices de l'envoyé du Téméraire. Nous n'en avons pas la preuve mais il est fort probable que notre triforium doit son état à Jacques de Savoie.
L'iIncendie a dévoré les charpentes, éclaté la pierre des murets qui n’ont pas été reconstruits à leur emplacement d’origine mais en renfort des trilobes et des colonnettes. L’ensemble semble avoir reçu une poussée horizontale, conséquence de la forte chaleur.
Tout indique un sauvetage tardif et provisoire, par des ouvriers ne possédant pas l’Art, cette réparation nous est restée dans l’état.
Cinq cent quarante années plus tard, nous avons l’opportunité de rendre à la collégiale sa splendeur d’antan mais il nous incombe de choisir la limite des travaux.
« La restauration d’un monument historique nécessite une compréhension spécifique et globale, à la fois de l’archéologie, de l’histoire, de l’architecture, de ses décors et de son usage (DRAC) ».
Selon les moyens financiers et techniques, il serait possible de reculer ces murets et rendre leur élégance aux colonnettes.
Mais ce sauvetage, provisoire depuis plus de cinq siècles, n'est-il pas témoin d’un passé qui nous rappelle une séquence douloureuse de notre histoire locale....
à sauvegarder ?
A suivre...