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  • Rencontres marquantes

    « Finalement dans une vie, il n'y a que quelques rencontres marquantes. Nous sommes deux ou trois de ces moments. Notre existence se résume à ça. Le reste part en fumée. » Anaïs Jeanneret, La solitude des soirs d'été, Albin Michel, 2013

    Malgré mon souci de conservation du patrimoine, j’avais depuis longtemps abandonné l'intérêt pour ce que d’aucuns appellent avec humour, la fonction de pilier de cathédrale.

    Marcheur par nature, radiophile par culture, une de mes rencontres marquantes eut lieu avec l’auteur de Chemin faisant.

    Jacques_Lacarriere_200x240.jpgJacques Lacarrière

    Cheminer à son exemple sans se départir du temps de la lecture, de l’écriture, et du plaisir de la radio. Comme beaucoup, je fus séduit par cet écrivain éclectique et grand voyageur. C’est sur une chaîne thématique du service public que s’initiai cette rencontre lors d’une émission sur Jacques Lacarrière décrivant sa vie en Bourgogne : entre son éloge du vin d’Irancy et son parrainage du temple bouddhiste de Kagyuling, quel ne fut pas mon étonnement de l’entendre lui, plutôt agnostique, faire l’éloge d’un curé de campagne - et pas n’importe lequel, son ami Maurice Gruau, curé d’Appoigny !  Appoigny, ma ville, dont je ne connaissais pas le curé !


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    Maurice Gruau

    Cette lacune fut vite comblée et il ne se passa plus une semaine sans que, prétextant la vue de la lumière, je ne fasse une visite impromptue à Maurice.

    Nos entretiens portaient sur de nombreux sujets bien plus philosophiques que cultuels. Il arriva même qu’il nous convie, mes amis d’Auxerre et moi, à parler de laïcité avec Mgr Defois son évêque. Il se noua entre nous une amitié, pour ne pas dire une complicité intellectuelle, qui dure malgré les ans et son exil à Paris.

    Écoutons ce qu’il dit de sa vie de curé atypique :

    « Après le marché aux chevaux de Vaugirard, le Haut-Anjou, l’institution Saint-Michel de Château-Gontier,  le séminaire de Laval, le lycée du Sacré-Cœur de Mayenne, les presbytères de Connée, du Bourgneuf et d’Ernée, l’évêché de Laval, l’Université Paris VII-Diderot, le journalisme avec Dimanche en paroisse et Aujourd’hui dimanche, l’aumônerie des prisons, la gérance d’une cordonnerie et d’une fabrique de cakes, la présidence d’un groupement régional de salles de cinéma et celle d’une association vouée à l’informatique, une fraternelle amitié avec nombre de francs-maçons, l’affection de plus jeunes qui m’adoptèrent comme leur frères, leur père, leur parrain ou leur grand-père et d’autres encore[1]. »

    La pudeur et la modestie lui ont fait taire de nombreux détails. Ce fils unique d’un boucher commissionnaire au marché aux chevaux, choisit, dès ses sept ans, de s’orienter vers le sacerdoce qu’il appellera : le meilleur métier possible. Après le séminaire, où il excelle en grec et en latin, il est ordonné en 1955. Curé de campagne en Mayenne, puis vicaire général "détaché" au diocèse de Sens, le père Gruau a failli devenir évêque. « Mais je n'en avais pas envie, je ne voulais pas être un homme de pouvoir. »

    Après son ordination il suit des études de linguistique et d'anthropologie. Doctorat en poche, il devient professeur mais reste avant tout, curé de campagne. En 68, les événements de Mai le trouvent à l'université de Rennes, où il étudie la linguistique, puis la sociologie, jusqu'au doctorat - discipline qu'il enseigne ensuite à la faculté de médecine, à Rennes avant qu'on lui propose de remplacer, à Paris-VII Diderot, Michel de Certeau. Fan de rock et de peinture contemporaine, Maurice Gruau reconnaît avoir eu une liaison “clandestine” avec une femme, Annick. Il fut aumônier dans les prisons, prêtre-ouvrier et avant tout, homme libre, indépendant. Il a toujours travaillé en plus de son job de prêtre, et a vécu en accord avec ses convictions. Il a même adopté un adolescent marocain, qui lui a été confié par la Dass.

    Pascal_Dibie_news-crop.jpgPascal Dibie

    Il enseignait lui aussi à Paris-VII. Ce collègue et complice de Maurice fut son voisin. Pascal Dibie, est en résidence secondaire à Chichery-la-Ville. Ethnologue, il est aussi créateur de la collection d’anthropologie Traversées aux éditions Métailié. Il décèle en Maurice un auteur en puissance et l’incite à publier L’homme Rituel puis Naissance d’un vieux prêtre[2]. Ces deux ouvrages nous permettent de mieux connaître la vie de Maurice, lui qui ne nous dit pas tout...

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    La cathèdre de Jacques Lacarrière

    Probablement par faute de place dans son petit studio parisien et plus sûrement par générosité, Maurice a tout laissé à Appoigny. De la cathèdre[3] provenant d'un studio photo, cadeau de Jacques Lacarrière, d’une statuette en bois polychrome, dont nous tairons la valeur, à une vingtaine de tableaux pour lesquels il nous a fallu enquêter pour en trouver l’auteur.

    C’est Naissance d’un vieux prêtre qui nous en parle (p. 64). Plutôt que de le commenter, je préfère vous livrer, in extenso, le texte de Maurice :

    « En 1950, quand nous étions au séminaire, je commençais à regarder Bernard Chardon dessiner, puis quand il fut vicaire-instituteur à Saint-Ouen et moi au Bourgneuf, deux bourgades voisines l’une de l’autre. Bernard est pour moi un ami fidèle et un initiateur à des formes d’art auxquelles sans lui je n’aurai jamais eu accès. L’étonnant dans sa peinture est à la fois sa modernité simple, accessible au peuple des paroisses. En écrivant, je pense au tableau que je lui avais demandé pour l’église de Chichery en Bourgogne, dont je fus curé près de vingt ans : le jugement dernier du chapitre 25 de l’Évangile selon Matthieu : “j’avais faim et vous m’avez donné à manger…”

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    Bernard Chardon

    C’est ce que je crois être de l’art sacré actuel. Mais Bernard est aussi capable d’illustrer les fables de La Fontaine et de peindre des paysages mayennais ou des clowns. … Bernard réussit une improbable expression artistique, rigoureuse et forte, offerte aux hommes et aux femmes d’aujourd’hui… »

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    Là encore il m’a semblé préférable de reprendre la présentation du blog du musée qui lui a été dédié à Lassay-les-Châteaux, en Mayenne :

     « … né à Saint Maurice du Désert dans l'Orne en 1927, Il commence à peindre à l’âge de 16 ans, et n'a plus jamais quitté ses pinceaux depuis. Prêtre et instituteur dans le nord de la Mayenne pendant de nombreuses années, il reste, à 92 ans, un chercheur infatigable de la vérité des choses et des êtres. Toujours à l'affût de nouvelles idées et d'inspiration, Bernard Chardon semble intarissable quand il s'agit de créer et de laisser s'exprimer son art ! Avec un nombre impressionnant de près de 5000 toiles réalisées tout au long de sa vie, il trouve cependant aujourd’hui encore la vitalité nécessaire pour nous offrir de nouvelles créations.

    D'un style très moderne et graphique, Bernard Chardon évoque des sujets divers et variés au travers des toiles, mais également avec la céramique et les vitraux.

    Ayant un vrai don pour l'association des couleurs, l’expression des sentiments et le sens de la caricature, Bernard Chardon nous fait voyager dans un univers toujours en mouvement, en beauté et en toute liberté.»

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    Les tableaux étaient accrochés au mur de la sacristie inutilisée, comme pour un message... 

    La danse macabre de Bernard Chardon sort de l'oubli pour la troisième fois. Après Villeneuve-sur-Yonne l'été dernier, Joigny ce printemps, elle participe à l'exposition des Journées Européennes du Patrimoine 2019. Nous y mettrons à l'honneur l'artiste mais aussi son mécène, Maurice Gruau, lui qui a marqué son passage par l’exemple désintéressé de la tolérance et de la découverte de l’autre. 

    Relier ces rencontres n'a rien d'anachronique, bien au contraire, elles ont contribué à produire notre association. Nous leur devons la reconnaissance d’avoir engendré des piliers de la collégiale d’Appoigny.

    Raymond Dhélin 

     

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    participera aux

    Journées Européennes du Patrimoine 2019 :

    Bibliothèque municipale

    Vendredi 20 septembre

    18h30 Conférence : Les curiosités des églises icaunaises

    par Pierre Glaizal et Marc Labouret  

    Entrée libre

    *****

    Collégiale

    samedi 21 et dimanche 22 septembre

    Exposition : Les Danses Macabres dans l'Yonne

    par l'Association Culturelle et d'Etudes de Joigny.

    Entrée libre

     

     

     

     

     

     

     

    [1] Ndlr : Quant à moi, je ne sais à laquelle de ces dernières fraternités j’appartiens mais il se peut que ce soit à toutes et je n’en suis pas peu fier. Cf Naissance d’un vieux prêtre, p.284.

    [2] L’homme Rituel, Métaillé 1999. Naissance d’un vieux prêtre, Métaillé 2012.

    [3] La cathèdre a été récupérée par la paroisse de la cathédrale d’Auxerre où elle trône aujourd’hui au sud de l’autel principal.

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